Et si Valieva n’avait pas craqué ?

@ L’Express

On est aux Jeux Olympiques de Pékin, jeudi après-midi 17 février 2022. La jeune Russe Kamila Valieva s’apprête à entrer sur la glace pour son programme libre (après le programme court qu’elle remporte avec 82,16 points). Comme si de rien n’était. Comme si toute la pression qui pèse sur la jeune athlète depuis plusieurs jours ne devait pas l’empêcher de remporter sa première médaille d’or olympique.

Mais on le sait, les belles histoires n’existent, au fond, que pour conserver un fond de mystère. Kamila Valieva ne sera pas championne olympique. L’histoire retiendra que la jeune Russe, ayant tenté deux quadruples sauts en principe très cotés, a chuté dès la réception du premier, lui ôtant a priori toute chance de figurer au sommet du classement. Une seconde chute, quelques poignées de secondes plus tard, met définitivement un terme à ses espoirs de victoire.

Valieva est une championne hors du commun. PSUCHE a été gênée comme rarement par la tournure prise par les événements autour de l’athlète ces derniers jours. Nous avons pour principe de défendre une éthique qui s’applique tant aux compétitions sportives qu’aux productions artistiques et devons bien avouer qu’il nous paraît, après avoir suivi depuis le début de la semaine le déroulement des événements, qu’apparaissent en toute lumière les manquements ayant présidé au fondement de cette affaire.

Qu’une athlète finisse une compétition en pleurs après avoir chuté est une chose, que cette même athlète subisse des pressions inconsidérées alors qu’elle n’a que quinze ans en est une autre. Et dans le cas de Kamila Valieva, c’est bien là que le bât blesse. Nous ne détaillerons pas tous les mécanismes – existants ou qui devraient exister – pour protéger la santé des athlètes, cause pour laquelle PSUCHE s’engage fortement depuis mars 2018, mais nous devons de préciser et souligner plusieurs éléments particulièrement embêtants.

  • Comment Kamila Valieva a-t-elle pu passer six heures la veille de son entrée en lice dans la compétition à être auditionnée par le TAS ?
  • Dans quelles conditions s’est déroulée cette audition ? Valieva a-t-elle bénéficié de l’aide d’adultes présents pour l’épauler, la soutenir, la conseiller ? A cette heure, rien ne permet de déterminer les conditions dans lesquelles s’est déroulée cette audition. Pour rappel, la Convention internationale des droits de l’enfant prévoit à son art. 3 al. 1 que « dans toutes les décisions qui concernent les enfants, qu’elles soient le fait des institutions publiques ou privées de protection sociale, des tribunaux, des autorités administratives ou des organes législatifs, l’intérêt supérieur de l’enfant doit être une considération primordiale ». L’intérêt supérieur de l’enfant s’entend comme le respect des meilleures dispositions visant à garantir l’intégrité de l’enfant en tant que sujet de droits. L’article 12 al. 2 de la même Convention précise qu’ « à cette fin, on donnera à l’enfant la possibilité d’être entendu dans toute procédure judiciaire ou administrative l’intéressant, soit directement, soit par l’intermédiaire d’un représentant ou d’un organisme approprié, de façon compatible avec les règles de procédure de la la législation nationale ».
  • Comment comprendre que ce ne soient pas les entraîneurs de Valieva qui aient – d’abord – été interrogés – à sa place ? Et pourquoi donne-t-on une telle importance au témoignage de Valieva alors que celle-ci n’est probablement qu’une des pièces du puzzle ?

Il faut bien avouer qu’il y a de quoi s’y perdre un peu dans « l’affaire Valieva » – loin d’être terminée – et qui restera comme L’affaire de ces Jeux de Pékin 2022. Est-il pardonnable que la Fédération Internationale de Patinage (ISU), l’AMA et le CIO n’aient pas bloqué la décision du TAS autorisant Valieva à patiner ? En ont-ils les moyens ?

Toutes ces questions, nous espérons que les personnes en charge de la santé des athlètes et particulièrement des athlètes mineurs se les poseront sans plus tarder. Rappelons que le CIO, dans son référentiel « Protéger les athlètes contre le harcèlement et les abus dans le sport », précise vouloir « [reconnaître] tous les droits des athlètes, notamment le droit d’évoluer dans un environnement sûr et favorable » (p. 6). D’autres cadres et lignes de conduite, encore – il faut bien le dire – très peu développés figurent à disposition sur le site du CIO notamment. Mais rien ne laisse présupposer – et c’est évidemment où nous sommes d’avis que la santé des (jeunes) athlètes passe au second plan lors des Jeux Olympiques – que toutes les instances sportives internationales concernées mettent tout en oeuvre pour protéger la santé des athlètes.

A bien considérer l’énorme problème auquel nous avons affaire, qui ne représente que la pointe émergée de l’iceberg – la santé des athlètes étant au centre d’une quantité stupéfiante de polémiques ces dernières années, en Suisse aussi (gymnastique artistique) -, à tout bien considérer donc, il est nécessaire d’admettre que nous sommes devant un phénomène d’une ampleur insoupçonnée. Qui protège qui dans le monde du sport ? Est-il normal que des athlètes de quinze ans aient le droit de participer aux Jeux Olympiques ? Pourquoi les cadres existants pour protéger les athlètes des Jeux Olympiques de la Jeunesse ne s’appliquent-ils pas aux athlètes mineurs lors des Jeux Olympiques ? Les interrogations éthiques et juridiques entourant la question de la santé des athlètes doivent être au centre des préoccupations des responsables sportifs, personnels de fédérations, entraîneurs, managers, des athlètes eux-mêmes et peut-être avant tout de leur entourage.