Hommage à Yves Jeannotat, préservateur de l’esprit d’enfance

@ La Gruyère

PSUCHE publie aujourd’hui l’article paru dans Le Temps rédigé par Noël Tamini, ancien grand coureur de fond suisse et ami de l’enseignant, ancien coureur d’élite, amoureux d’athlétisme et de sport et poète Yves Jeannotat.

« «Deux silex», hommage à Yves Jeannotat, cofondateur du mouvement Spiridon

Carnet noir

L’ancien athlète, enseignant, journaliste et écrivain Yves Jeannotat est décédé le 5 novembre à l’âge de 92 ans. Pionnier de la course à pied en Europe, deux fois vainqueur de Morat-Fribourg, cet humaniste nous laisse avec le titre de son dernier livre: «Sport, où est ta victoire?»

Yves Jeannotat en 2009

En hommage à Yves Jeannotat, nous publions un texte, extrait du manuscrit du troisième volume de «La Saga des pedestrians», que son compère Noël Tamini nous avait fait parvenir en février 2016, au moment de la sortie de Free to run, le film de Pierre Morath, dans lequel le Fribourgeois et le Valaisan ont un rôle majeur

Il y avait une fois deux silex et de la belle étoupe autour. De quelques étincelles jaillit un jour un beau feu, de bon bois. Ainsi naquit Spiridon, qui nous réchauffa quand dans notre course il faisait froid. A Y. J., ce “géant” que j’osai aborder il y a 45 ans. A mon compère à la création de Spiridon, au souvenir de tant de beaux moments qui ont marqué notre insolite aventure.»

Telle est la dédicace de l’exemplaire des Géants de la course à pied adressé à Yves Jeannotat. Il était en notre pays, la Suisse, un vrai champion de course à pied, quand, débutant, j’osai l’aborder, en 1965. Crossman et pistard, ce Jurassien avait gagné deux fois Morat-Fribourg, avant que sa fédération lui interdît – en 1964, avant les Jeux de Tokyo – l’aventure du marathon. Le pauvre, on lui avait refusé l’autorisation de courir (à ses frais!) à Windsor-Chiswick en vue de réussir le chrono imposé, 2 h 27. En réalité, on avait négligé de répondre à sa demande.

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Finalement, sous la pression de feu Boris Acquadro, téléreporter bien-aimé – qui nous régalera en 1969 en nous donnant à voir en direct le marathon des championnats d’Europe d’Athènes – finalement on avait allégué qu’on ne pensait pas que Jeannotat ferait honneur au drapeau helvétique… Sic! Abonnez-vous à cette newsletter J’accepte de recevoir les offres promotionnelles et rabais spéciaux.

Le vestiaire

Yves Jeannotat lors de sa première victoire à Morat-Fribourg en 1959

Tout comme son compère, un Valaisan, Yves était un coureur à qui l’on avait fait avaler bien des couleuvres, et qui en savait un bout sur certain ostracisme. C’est que nous étions deux Romands, c’est-à-dire, aux yeux des Zurichois et des Bernois à la tête de la fédé, des gars à ne pas prendre trop au sérieux. Que le lecteur d’ailleurs se rassure: depuis lors, beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, de la Sarine, de la Limmat ou du Rhin. Et aujourd’hui, comme l’a dit un conseiller fédéral vaudois, à propos des Romands et des Suisses allemands, «nous nous entendons très bien, parce que nous ne nous comprenons pas…» Car ces compatriotes parlent un dialecte bien à eux.

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A l’automne 1971, l’idée me vint de créer une revue qui fût bien à nous, les coureurs de fond, les oubliés de l’athlétisme, et qui comblerait une béante lacune. J’étais alors traducteur, ou, pour dire mieux, passeur, de l’allemand au français, à l’Ecole fédérale de sport. J’essayai de partager mon idée avec Yves, alors professeur de français et journaliste.

Plutôt réticent tout d’abord, en raison des difficultés qu’il savait mieux, il ne tardera pas trop à se laisser entraîner dans cette aventure, alimentée par l’idéalisme et l’altruisme, de ces deux-là et de bien d’autres. Tous deux avaient en commun cette passion qui garantit une jeunesse inaltérable: ils vivaient ce qu’ils disaient, avec la foi du prosélyte, du missionnaire, de l’apôtre. En témoignent ces éditoriaux qu’ils écrivirent, avec un cœur gros comme ça, dans le but de faire partager leur bonheur de courir, et leur foi en l’homme, à ceux et celles qui, comme eux, avaient préservé l’esprit d’enfance. »

Article paru le samedi 6 novembre 2021 dans le quotidien Le Temps, lien