Naître par la voix


Extrait du livre de Serge Wilfart Le chant de l’être. Analyser, construire, harmoniser par la voix (pp. 169-170) :

« Je ne puis m’empêcher de citer ici un passage du Livre de la Splendeur ou Zohar, ce très célèbre commentaire rabbinique, où il est dit que l’homme est constitué de trois souffles : le souffle naturel, le souffle vital et le souffle ou âme supérieure : nephesh, roua’h et neshamah.

Ces trois souffles ou ces trois âmes sont compris l’un dans l’autre, tout en ayant chacune leur habitation propre. Pour être pleinement soi-même, il faut s’ancrer vitalement dans le souffle du bas, qui communique aux deux autres son propre dynamisme.
Ce souffle vital, je le vois volontiers s’exprimer dans le cri, qui traduit la force de la nature, à l’état brut si l’on peut dire. Il doit communiquer cette puissance et cette force à la voix articulée, la parole, qui marque l’entrée dans le monde de la culture, donc le dépassement du monde de la nature. Il ne s’agit pas d’opposer le cri au dire vocal, mais de faire passer cette puissance naturelle du cri dans la puissance maîtrisée de la parole.
C’est bien dans le cri, d’ailleurs, que Dieu créa, nous dit littéralement le texte de la Genèse, au chapitre premier. Mais ce Cri est en même temps Parole qui prononce le Nom.
De même, c’est « dans une Parole qui se prolonge à jamais », nous dit le midrasch, que Dieu prononça les dix Paroles du commandement éthique.
Il en va de même pour le priant. Le Psaume 3 nous le montre bien : c’est dans la mesure où l’homme sait jeter sa souffrance tout entière dans son cri, qu’il peut, de ce fait même, s’apaiser, tant est solide sa conviction d’avoir été entendu et exaucé. Tel l’archer, totalement présent dans sa flèche, il se retrouve alors lui-même au coeur de la cible visée.
Avant de terminer, je voudrais faire une dernière citation. Je l’emprunte à Boèce, auteur latin contemporain de Benoît. Il écrivit un traité sur la musique, dans lequel il propose une triple division de celle-ci : musica mundana, musica humana et musica instrumentalis. Je ne retiens que ce qu’il dit de la musica humana, celle qui constitue l’homme lui-même. « Elle suppose, d’une part, l’accord de l’âme et du corps et, d’autre part, l’harmonie entre toutes les facultés de l’âme. Cet accord intérieur comme cette harmonie cachée se manifestent précisément dans la voix, dans l’équilibre manifesté des harmoniques graves et aigües qui la constituent1. »


1. Cité par M.-M. Davy, Initiation à la symbolique romane, p. 244