Façonnement enfantin du monde

L’autre jour, une phrase m’a frappé : « Les enfants aussi ont le droit de façonner notre monde » (Pro Juventute). Je me suis dit « Oui, bien sûr ! » puis tout de suite « Mais les enfants n’ont pas assez de place pour ça » – une prise de conscience brutale.

Je me suis ravisé rapidement en me rendant compte de mon erreur : c’est à chacun de nous de laisser plus d’espace aux enfants.

Dans notre monde saturé – de problèmes, coronavirus en tête -, nos chères têtes blondes ont beau avoir des droits, être reconnues, faire l’objet de mille et une attentions, nous ne leur accordons toujours pas l’espace qu’elles méritent. Héraclite, pourtant, il y a 2500 ans déjà : « La vie est un enfant qui joue au tric-trac : c’est à un enfant que revient la royauté (Αἰὼν παῖς ἐστι παίζων πεσσεύων· παιδὸς ἡ βασιληίη) » (Fragment 52). La psuchè, le souffle que notre philosophie entend valoriser n’est ni forcément entendu, ni forcément compris. Loin d’être une lubie, une affaire de spécialistes, il concerne tout le monde – enfants en tête.

Le problème ? Nous avons l’impression de devoir prendre position, justifier nos arguments, voire donner de la voix pour défendre les enfants. Alors que l’essentiel consiste à reconnaître et souligner l’importance de la vie, du souffle et partant de la psuchè qui confère à l’enfance sa densité, sa matière et sa forme. Oui, l’important est beaucoup plus de valoriser les enfants eux-mêmes, de les promouvoir, de jouer avec eux et de favoriser les initiatives en leur faveur que de s’arrêter aux contours de ce qui ressemble à l’enfance.

A force de placer les enfants sur un piédestal, d’en faire des rois – supercherie absolue, trompe-l’oeil – et non au bon endroit, ce sont eux que nous desservons finalement. Nous allons à l’encontre de la phrase d’Héraclite : « La vie est un enfant qui joue au tric-trac : c’est à un enfant que revient la royauté ». Nous valorisons excessivement les contours malléables, agréables et chatoyants de l’enfance – perdant de vue la difficulté qu’il y a à lui laisser une vraie place dans nos vies.

Il s’agit là d’une erreur conséquente, dont les effets se constatent à de multiples niveaux : absence d’une véritable protection de l’enfance, oubli des questions importantes relatives à la jeunesse, dévalorisation des initiatives prises en faveur des jeunes (par manque de volonté, oubli, etc.). PSUCHE opte pour le chemin contraire : en renversant la perspective, retrouver de la joie, du jeu et la bonne tension inhérentes à la vie propre aux enfants, valoriser cette dernière en tant que fond esthétique commun à l’humanité tout entière et en faire une question d’envergure générale.