Affaire Valieva : et si on arrêtait de jouer avec la santé des jeunes sportifs ? (2)

Notre récent article du 15 février « Affaire Valieva : et si on arrêtait de jouer avec la santé des jeunes sportifs ? » est revenu sur l’affaire de dopage entourant la jeune patineuse russe Kamila Valieva aux Jeux Olympiques de Pékin. Notre deuxième article sur le sujet s’est interrogé sur les circonstances entourant cette affaire et les raisons pour lesquelles il semble difficile – malgré toutes les pressions en ce sens – d’agir sur les causes du problème.

Dans les deux excellents documentaires « What Is Happening to Women’s Figure Skating ? I An Essay I Part 1 » et « The Cycle of Exploitation in Women’s Figure Skating I An Essay I Part 2 », c’est tout un système de pratiques douteuses pour la santé des athlètes qui se dévoile. La fameuse écurie à champions moscovite Sambo-70 est au coeur de toutes les attentions : c’est en effet là qu’officie la désormais fameuse Eteri Tutberidze, coach à succès et décriée de Kamila Valieva – et de la nouvelle championne olympique Anna Shcherbakova ainsi que de sa dauphine Alexandra Trusova.

Ecole – ou écurie – à champions et championnes toujours plus jeunes. Toujours plus glamours, prêts à sacrifier leur jeunesse, leur insouciance et leur santé (âme et corps) à des entraîneurs peu soucieux de leur développement. Au nom de la gloire, pour avoir un appartement un jour, apparaître comme l’étoile brillante du pays, évidemment avec quantité d’intérêts forcément discutables derrière. Véritable usine à produire de nouvelles pousses prêtes à briller sur les glaces du monde entier, sous le regard de millions de spectateurs, à 12, 13 ans… sans éducation quelconque relative à la nutrition, à l’entraînement, aux soins, au repos, etc.

Prêts à être broyés et mangés tout crus par le système, remplacés immédiatement par plus jeune, plus gracile, plus léger (ou légère) qu’eux (ou elles). Une véritable machine qui fonctionne depuis des années. Sans possibilité apparente de mettre un coup d’arrêt au processus ; avec la complaisance, voire la corruption à large échelle des juges, les yeux fermés des instances internationales (ISU en tête), complices de la mise en oeuvre d’une machine visant à produire des produits fascinants et jetables. Au nom de quoi ? De quels intérêts ?

Difficile à comprendre. Dans ce monde-là, on ne prend évidemment pas de pinces pour signifier à l’athlète qu’il doit s’entraîner quatre, cinq, voire beaucoup plus d’heures par jour (jusqu’à douze (!) pour Alina Zagitova), perdre 200 ou 300 grammes, s’abstenir de boire pendant les entraînements, etc. Qu’il doit enchaîner les quadruples avec une pré-rotation – pour glaner encore quelques points de bonus lors des compétitions -, au péril de mettre son dos et l’entier de son corps à rude épreuve. Jusqu’à l’effondrement. A 12 ou 13 ans, de jeunes patineuses sont ainsi capables d’encaisser des entraînements insensés les poussant à devoir mettre fin à leur carrière à 16, 17 ou 18 ans. Jusqu’à l’écoeurement.

Derrière tout cela – alors que le CIO et les instances sportives mondiales peinent à changer les règles du jeu -, il y a bien sûr l’argent, les contrats publicitaires, l’image, toujours… Et le pouvoir – le pouvoir de pouvoir changer les règles du jeu soi-même, de faire basculer son sport dans une autre dimension. Ce qu’a fait Tutberidze depuis une dizaine d’années, avec les louanges des médias, du monde du patinage, sans que rien ne change jusqu’ici. Avec l’affaire Valieva cependant, il paraît que certains processus semblent devoir être remis en cause. A voir évidemment jusqu’où, avec quelle profondeur, selon quelles perspectives, etc.

Tout ceci est profondément choquant. Mais pas étonnant. Les affaires relatives aux abus dans le sport visant des mineurs (des athlètes de moins de 18 ans) sont légion courante et deviennent de plus en plus l’affaire de tous – médias en tête. Les récents abus à Macolin (dont nous nous faisions l’écho ici) démontrent que le sport n’échappe pas aux évolutions récentes dans la société. Si les mouvements sociaux tels que #MeToo, les mouvements féministes, les dénonciations de violations des droits de l’homme, la volonté de protéger les minorités, voire le climat, font beaucoup parler d’eux, il est grand temps que la protection de l’intégrité psychique et physique et de la santé des athlètes fasse l’objet d’une attention grandissante de la part des médias, du public et avant tout des instances concernées au coeur de l’échiquier du sport international.

Comme nous le soulignions dans notre dernier article, il manque encore aujourd’hui les cadres pour ce faire. Ceux-ci doivent être urgemment développés et promus partout où cela s’avère nécessaire, à savoir dans les milieux encadrant les enfants depuis le plus jeune âge jusqu’à l’âge adulte. La formation, l’encouragement à parler des problèmes ayant trait au quotidien des jeunes talents, tout comme ceux de leurs entourages, l’éducation aux valeurs devant présider au sport de haut niveau, doivent être beaucoup plus présents dans tout l’environnement des jeunes sportifs. Ces considérations s’appliquent évidemment aussi au monde des arts et notamment des arts vivants, où de tels scandales – et nous prenons ici toutes nos précautions – semblent à priori moins présents, mais peut-être uniquement parce que notre connaissance de ces milieux n’est pas encore suffisante…

Affaire(s) à suivre.